Cheptel
(Droit). On peut donner à cheptel, non seulement un fonds de bétail, mais toute espèce d’animaux susceptibles de croît, ou de profit pour l’agriculture ou le commerce, ce qui comprend les bêtes montrées par curiosité ; on pourrait appliquer les règles de ce contrat aux abeilles, aux volailles, etc. Le bail à cheptel, quelles qu’en soient les clauses, peut se faire devant notaire, par acte sous seing privé, ou même verbalement ; dans ce dernier cas, comme dans toute espèce de locations, si le bail est nié, il ne peut être prouvé par témoins dès que la valeur des animaux excède 150 fr. Les droits et les obligations du bailleur et du preneur dans un cheptel sont déterminés par les conventions faites entre eux ; ce n’est qu’à défaut de conventions particulières qu’il faut suivre les règles générales établies par la loi pour chaque espèce de cheptel. (C. Nap., art. 1800-1803).
Cheptel simple. Dans ce contrat, le troupeau donné à cheptel appartient tout entier au bailleur. Afin de déterminer la valeur des bestiaux dont la perte doit peser pour moitié sur le fermier, on estime ordinairement le troupeau avant que le cheptel commence ; cette évaluation n’est pas indispensable : mais quand elle a lieu, elle n’a pas pour effet de transporter la propriété au fermier. — Le preneur doit à la conservation du cheptel les soins d’un bon père de famille ; il doit veiller au logement, à la nourriture, à la litière, à la propreté des bestiaux, à leur santé ; il doit surtout les soigner en cas de maladie. S’il a commis une faute, même très légère, il répond des suites qu’elle aura eues ; il répond aussi du fait de ses pâtres ou domestiques. Il n’est pas tenu des conséquences des accidents fortuits, à moins qu’ils n’aient été précédés de quelque faute de sa part. Alors même que les animaux ont péri sans sa faute, le fermier doit rendre compte des peaux : dans les cas d’épizootie, où il est défendu de rien conserver des animaux morts, le preneur à cheptel ne pourrait ni représenter les peaux, ni, à raison de ce fait, être obligé d’en payer le prix. — Si le cheptel périt en entier, sans la faute du fermier, la perte est pour le propriétaire ; s’il n’en périt qu’une partie, la perte est supportée en commun, d’après le prix de l’estimation originaire et celui de l’estimation faite à la fin du bail. Un troupeau peut être considéré comme perdu en entier non seulement lorsqu’il n’en reste plus une seule bête, mais encore lorsqu’il n’en subsiste plus assez pour constituer un fonds de bétail ; on fait prudemment de stipuler dans le bail le nombre de têtes de bétail qui sera nécessaire pour former le fonds du troupeau. Si une perte partielle de quelques animaux a lieu pendant la durée du bail et qu’en même temps il y ait eu du croît, la compensation se fait jusqu’à la fin du bail : à cette époque, si le déficit n’est pas comblé, la perte du surplus est partagée en commun. — Les parties peuvent s’entendre ensemble comme bon leur semble sur la manière dont les pertes seront supportées par chacune d’elles ; toutefois, il y a certaines clauses qui seraient abusives, et que la loi défend ; ainsi on ne peut stipuler dans un bail à cheptel que le fermier supportera la perte totale quoique arrivée par cas fortuit et sans sa faute ; ni qu’il supportera dans la perte une part plus grande que dans le profit, ni que le bailleur prélèvera, à la fin du bail, quelque chose de plus que le cheptel qu’il a fourni. Toute convention semblable est nulle et le fermier peut en faire prononcer l’annulation par les tribunaux. Il est permis de convenir que l’une ou l’autre des parties aura une plus grande part dans les profits, mais aussi dans les pertes ; on peut encore stipuler que le fermier supportera toute la perte et qu’il aura tout le profit. — Aucune des deux parties ne peut, sans le consentement de l’autre, disposer d’aucune bête du troupeau, soit du fonds, soit du croît. Le fermier ne peut tondre, soit une ou plusieurs bêtes, soit tout le bétail à laine, sans en prévenir le propriétaire ; cet avertissement peut être donné par une lettre, ou même verbalement ; dans ce dernier cas, il faut, par prudence, le donner devant témoins. La laine se partage entre le fermier et le bailleur ; et par laine il faut entendre non seulement la toison des moutons, mais aussi le poil des chèvres et le crin des chevaux. Le croît se partage également, et on y comprend non seulement les élèves, les petits des animaux, mais aussi l’augmentation de valeur résultant du prix des bêtes qu’on vend après les avoir remplacées par des jeunes. C’est le fermier seul qui profite du laitage, du fumier et du travail des animaux donnés à cheptel. Le bailleur ne pourrait pas se réserver une partie de ces objets. Comme le fermier doit jouir du cheptel par lui-même, il ne pourrait dans la vue d’en tirer un prix, louer les animaux à un tiers.
Le cheptel finit par l’expiration du temps pour lequel il a été contracté : si la durée n’a pas été fixée, il est censé avoir été fait pour 3 ans ; si après les 3 ans le fermier est laissé et reste en possession, et que le bailleur ne demande pas le partage dans un délai déterminé par l’usage, il se forme un nouveau cheptel aux mêmes conditions que celui qui a précédé. — Avant l’expiration du cheptel, chaque partie peut en demander la résiliation si l’autre partie ne remplit pas ses engagements. — À la fin du bail, ou lors de sa résiliation, il se fait une nouvelle estimation du cheptel, soit par les parties elles-mêmes, soit par des experts qu’elles nomment ou qu’elles font nommer par jugement. Le bailleur a le droit de prélever des bêtes de chaque espèce jusqu’à concurrence de la première estimation ; s’il n’existe pas assez de bêtes pour remplir cette estimation, le bailleur prend tout ce qui reste, et il est fait entre les parties un compte pour la perte.
La saisie ou la vente des bestiaux a une action importante sur l’existence du bail à cheptel. Si le cheptel est donné au fermier d’autrui, il doit être notifié au propriétaire de qui le fermier le tient, sans quoi ce propriétaire peut saisir et faire vendre les bestiaux pour le payement de ce que son fermier lui doit ; cette notification doit être faite avant l’introduction des bestiaux dans la ferme, et a lieu par acte d’huissier. — La vente du cheptel par le propriétaire pendant que le fermier est en jouissance ne peut évidemment pas s’exécuter, la livraison étant, de fait, impossible sans le consentement du fermier. Si c’est le fermier qui a vendu tout ou partie du bétail, le propriétaire bailleur peut demander la résiliation du bail : mais il n’a pas le droit de revendiquer les bestiaux vendus contre le tiers acquéreur. Les créanciers du bailleur ne peuvent saisir et vendre le cheptel qu’à la condition de maintenir le cheptel. Les créanciers du fermier n’ont pas le droit de saisir le cheptel, puisqu’il n’appartient pas à leur débiteur (C. Nap., art. 1804-07).
Le bail à cheptel paye un droit d’enregistrement de 20 c. par 100 fr. ; les cautionnements du bail payent la moitié. On doit évaluer dans le bail le produit annuel revenant au bailleur, s’il n’est pas fixé en argent, et indiquer la durée du bail ; si cela n’a pas été mis dans le bail, les parties doivent en faire l’objet d’une déclaration au bas de l’acte, et avant l’enregistrement.
Formule. — Entre les soussignés M… (nom, prénoms), propriétaire, demeurant à …, d’une part. Et M… (nom, prénoms), cultivateur (ou éleveur, ou nourrisseur), demeurant à …, d’autre part : M… donne, à titre de cheptel simple, à M… pour … années, à partir de ce jour, le fonds de bétail (ou les animaux) ci-après désigné (indiquer le nombre, l’origine, la marque des animaux), le tout d’une valeur de … Le présent bail est fait aux charges et conditions suivantes : (spécifier avec clarté les conditions relatives à l’entretien des bestiaux, à la tonte, aux pertes, à l’estimation en fin du bail, au partage des croîts pendant le bail).
Le produit annuel revenant au bailleur est évalué à la somme de … seulement pour la perception des droits d’enregistrement.
Fait double à …, le … (Date et signatures).
Cheptel à moitié. Il forme une association entre deux personnes qui mettent en commun, par moitié, un certain nombre de bestiaux, pour en tirer le profit ou en supporter la perte. La partie qui se charge de soigner et d’exploiter le bétail commun, profite seule du laitage, du fumier et du travail des bêtes ; le bailleur n’a droit qu’à la moitié des laines et du croît ; toute convention contraire est nulle, à moins que le bailleur ne soit propriétaire de la métairie dont le preneur est fermier ou colon partiaire ; ce bailleur peut se réserver une portion des laitages, fumiers et travaux, à raison des bâtiments, terres et prairies qu’il fournit. Les autres règles du cheptel simple s’appliquent au cheptel à moitié ; le droit d’enregistrement est le même (C. Nap., art. 1818-20).
Cheptel au fermier ou au colon partiaire. — Le cheptel donné au fermier par le propriétaire d’une métairie, et appelé aussi cheptel de fer, oblige le fermier à laisser, lors de l’expiration du bail, des bestiaux d’une valeur égale aux prix de l’estimation de ceux qu’il a reçus. Ce cheptel est immeuble par destination, et ainsi ne peut être saisi par les créanciers du propriétaire, qu’avec le fonds lui-même. L’estimation du cheptel donné au fermier ne le rend pas propriétaire des animaux ; elle n’a d’autre effet que de fixer la valeur du cheptel que le fermier devra rendre à la fin du bail. Tous les profits du troupeau appartiennent au fermier ; néanmoins, le propriétaire peut s’en réserver une partie par des stipulations du bail ; il peut être convenu qu’une redevance lui sera payée chaque année en lait, beurre, laine, portion du croît. Le fermier ayant tous les profits, supporte toute la perte, même totale et par cas fortuit, à moins qu’il n’y ait convention contraire. Les fumiers sont exceptés des profits personnels du fermier ; ils doivent être employés uniquement à l’exploitation de la métairie. Le cheptel étant l’accessoire du bail à ferme auquel il sert de moyen d’exécution, il dure autant que le bail ; et si ce dernier est prolongé par la tacite reconduction, le cheptel continue pour le même temps. À l’expiration du bail, le fermier ne peut retenir le cheptel en payant l’estimation originaire ; il doit laisser un cheptel en nature et de valeur pareille à celui qu’il a reçu ; s’il y a du déficit, il doit le payer, et il n’a droit qu’à l’excédant. Si le fermier ne représente pas le bétail qui lui avait été donné à titre de cheptel, il peut être contraint par corps par le bailleur, à moins qu’il ne prouve que le déficit existant ne provient pas de son fait. — Les animaux restant la propriété du bailleur, les créanciers du fermier n’ont pas le droit de saisir le cheptel ; tout au plus pourraient-ils saisir l’excédant existant, s’il était certain qu’il y en eût un. Pour le surplus des règles relatives à ce genre de cheptel, Voy. Cheptel simple et Bail à ferme. Le cheptel donné au fermier, se confondant avec le bail, n’est pas soumis à un droit particulier et distinct d’enregistrement.
Le cheptel donné au colon partiaire suit les règles du cheptel simple, sauf les dispositions suivantes qui lui sont propres. Si le cheptel périt en entier, sans la faute du colon, la perte est pour le bailleur ; si elle n’est que partielle, elle est supportée comme dans le cas du cheptel simple (Voy. ce mot). On peut stipuler que le colon délaissera au bailleur sa part de la toison à un prix inférieur à la valeur ordinaire ; que le bailleur aura une plus grande part du profit ; qu’il aura la moitié des laitages, etc. On ne peut mettre toutes les pertes à la charge du colon ; mais il ne serait pas défendu de stipuler qu’il supportera une partie de la perte totale. Le cheptel du colon partiaire finit avec le bail principal de la métairie. Il n’est pas soumis à un droit d’enregistrement distinct de celui du bail dont il dépend (C. Nap., art. 1821-1830).
Cheptel improprement dit. C’est le contrat qui a lieu lorsqu’un propriétaire de vaches les donne à loger et à nourrir tout en gardant la propriété de ces animaux ; il n’a que le profit des veaux qui naissent. Le bailleur restant propriétaire, si des frais extraordinaires deviennent nécessaires, p. ex. par maladie des vaches données à cheptel, c’est lui qui doit les supporter, après avoir été averti par le preneur. Si une ou plusieurs vaches périssent, c’est au preneur de prouver que la perte a eu lieu par cas fortuit, et c’est au bailleur d’établir que la perte a eu lieu par la faute du preneur, auquel il veut faire supporter la perte. Le preneur est tenu, sous peine de résiliation ou de dommages-intérêts, de donner ses soins aux vaches, et de faire les dépenses qu’exige leur entretien ordinaire. Il doit les conduire au taureau pour les féconder, et paye, s’il y a lieu, le droit de saillie. Il a droit au laitage, sauf ce qui est nécessaire à l’allaitement du veau jusqu’au sevrage ; il a droit aussi au fumier, sous la condition de fournir et de payer la litière. Il peut exiger que le bailleur retire les veaux à l’âge où ils peuvent être vendus, ordinairement à 4 semaines ; si les veaux ne sont pas retirés, le preneur peut mettre le bailleur en demeure par une sommation, et se faire payer la nourriture des veaux à partir du jour où ils auraient dû être retirés. Lorsque la durée du contrat a été fixée, il dure jusqu’à l’époque convenue, sauf le droit de résolution qu’aurait le bailleur si le preneur mesurait des animaux. Quand aucun temps n’a été fixé par la convention, ou que le cheptel a été fait sans écrit, le bailleur peut reprendre ses vaches quand il lui convient ; toutefois le retrait ne peut être exigé ni offert dans un temps inopportun, c’est-à-dire quand le contrat ne cesserait qu’au préjudice des intérêts de l’une ou de l’autre partie ; par exemple, le bailleur ne pourrait reprendre au mois d’avril une vache donnée au commencement de l’hiver, ni la retirer aussitôt après qu’elle aurait vêlé, le preneur n’ayant pas, dans ces circonstances, une indemnité suffisante de ses dépenses et de ses soins ; d’un autre côté, le preneur ne pourrait obliger le bailleur de reprendre la vache au moment où elle est le plus onéreuse ; par exemple le forcer à la retirer avant ou pendant l’hiver, si elle lui a été donnée en avril précédent, ou lorsqu’elle est prête à vêler. Il faut se conformer aux usages locaux, s’il en existe qui règlent le temps et les conditions du contrat (C. Nap., art. 1831).
Nota. Pour qu’un cheptel, quel qu’il soit, puisse être avantageux au cultivateur, il faut que le profit du bailleur n’excède pas de beaucoup l’intérêt de l’argent qu’eût coûté l’achat du troupeau.