Chevreuil
(Chasse). On chasse le Chevreuil en battue, ou en quêtant à la billebaude, ou bien en le détournant. — Si l’on chasse le Chevreuil en battue (Voy. ce mot), on devra remarquer que jamais le Chevreuil épouvanté par les traqueurs ne traverse deux enceintes dans la même direction. Ainsi donc, lorsque des chevreuils se sont échappés d’une première enceinte, et qu’on va les traquer de nouveau dans une autre partie du bois, il faut avoir soin de placer dans un sens différent les rabatteurs et surtout les tireurs.
Pour quêter avantageusement le Chevreuil à la billebaude, il faut se rappeler qu’au printemps cet animal broute les jeunes pousses des arbres, et que cette nourriture abondante, dont il a été privé durant l’hiver, venant à fermenter dans son estomac, lui cause une espèce d’ivresse qui le rend comme fou : il court de tous côtés sans savoir où il va ; aussi le rencontre-t-on dans des lieux qu’il n’a pas coutume d’habiter, tandis que peut-être on le chercherait en vain dans les cantons qu’il fréquente ordinairement. En toute autre circonstance, le Chevreuil est très sédentaire : lorsqu’il a fait choix d’une localité, il est rare qu’il l’abandonne. Comme il craint beaucoup les intempéries, il se tient pendant la chaleur dans les endroits frais et ombragés ; s’il pleut, il cherche le voisinage des arbres qui peuvent l’abriter ; si le temps devient beau, il va se mettre au ressui dans les lieux découverts, mais cela sans s’éloigner de son canton de prédilection ; il y demeure constamment avec sa femelle et ses petits. Il n’est pas rare, dans les pays giboyeux, de rencontrer une famille composée de 5 ou 6 individus. Lorsqu’ils sont réunis, il est plus difficile de les approcher, parce que chacun fait le guet de son côté. La Chevrette porte pendant 5 mois et demi ; en avril ou au commencement de mai, elle se sépare de son brocard, et se choisit une retraite sûre et bien cachée où elle donne ordinairement naissance à deux faons de sexe différent. Quelquefois elle n’en fait qu’un, quelquefois aussi elle en fait trois, mais ce sont des cas exceptionnels.
On peut encore détourner le Chevreuil et le juger comme le Cerf, quoique avec plus de difficulté. Les moquettes ou fumées du Chevreuil, ne peuvent, il est vrai, donner aucune indication ; mais si la petitesse du pied de cet animal rend le travail du valet de limier plus difficile, cependant un homme exercé saura toujours lire dans l’empreinte laissée sur le sol le sexe et l’âge de l’individu. Le brocard a les talons plus gros, la pince plus ronde, moins tranchante. Le Chevreuil même jeune, marche les pinces des pieds de derrière plus ou moins fermées ; la Chevrette, au contraire, qui a souvent son faon à supporter, ne serre point autant en marchant les pinces des pieds de derrière. On confond souvent la trace d’une femelle bréhaigne avec celle d’un daguet, parce que toutes deux présentent la même dimension et le même caractère ; mais si l’on fait attention à l’observation qui vient d’être signalée, il sera plus facile d’éviter les méprises. Les régalis, c.-à-d. les endroits où le Chevreuil s’est amusé à gratter la terre, dénotent aussi un brocard ; enfin les allures sont moins croisées (Voy. Pied). On juge aussi l’âge du Chevreuil par sa tête (Voy. Tête). Enfin la manière dont la dentition s’opère chez cet animal peut fournir une indication utile. Il a 8 dents comme le mouton ; pendant sa 2e année, lorsqu’il est daguet, les 2 dents du milieu tombent et repoussent ; celles de la paire voisine tombent l’année suivante, pendant qu’il est à sa seconde tête ; la 4e année voit se renouveler la 3e paire ; enfin les dernières disparaissent et se reproduisent pendant la 5e année. Pour faire le bois, il faut avoir un bon limier et être sûr qu’il n’aboiera pas, autrement on aura soin de le tenir de court ; s’il veut seulement siffler, on lui donnera des saccades et on le grondera ; car, pour peu qu’il fasse entendre un coup de gorge, le Chevreuil, croyant être poursuivi, percerait en avant, et il serait ensuite très difficile de le rembucher ; tandis que si on l’a mis debout sans l’inquiéter, comme il est très curieux, il revient pour voir ce qui l’avait troublé, et se met à la reposée. Le plus souvent, le valet de limier, pour faire son rapport avec plus de certitude, met le Chevreuil sur pied, ou, comme on dit, à piser, mot qui signifie fouler. Le Chevreuil est plus difficile à forcer que le Cerf et le Daim ; car sa voie va toujours se refroidissant : aussi les chasseurs qui veulent à tout prix assurer la curée n’hésitent pas, si la chasse est trop longue, à découpler le 4e relais, qui n’est autre chose qu’un bon coup de fusil. Au commencement de la chasse, le Chevreuil dépense en bonds inutiles une vigueur dont il aurait besoin plus tard ; mais voyant que cela ne lui suffit pas pour se débarrasser de ses ennemis, il appelle à son secours ses ruses et toute sa vélocité ; il ne bondit plus, mais il court ; à ce moment on dit qu’il a perdu ses sauts. Il croise ses voies à recours, au retour, au hourvari et parvient souvent à mettre la meute en défaut. Une de ses ruses habituelles est de suivre un cours d’eau dans sa partie submergée, de manière à ce que les chiens ne puissent retrouver sa voie. Il lui arrive souvent de se blottir dans l’eau, le long du rivage, sous une souche d’arbre, en ne laissant passer que le bout de son museau, qu’il dissimule au milieu des racines ; il est alors difficile de l’apercevoir ; mais enfin si, à force de soin et de persévérance, on est parvenu à déjouer ses ruses, il lui arrive de perdre la tête ; il fuit quelquefois à travers les villages et finit par tomber sous la dent de la meute. On fait la curée du Chevreuil comme celle du Cerf et du Daim. — On tire le Chevreuil avec de la grosse chevrotine et souvent à balle ; car il arrive souvent qu’un Chevreuil qui n’est que blessé se réfugie dans des taillis si épais qu’il est impossible de le retrouver et qu’il meurt en pure perte. — Il est de règle, pour le Chevreuil comme pour le Faisan, de ne point tirer la femelle.
Chevreuil (Cuisine). — Civet de chevreuil. La poitrine et l’épaule sont les morceaux qui conviennent le mieux ; pour le confectionner, il faut procéder en tout de la même manière que pour le civet de lièvre, Voy. Lièvre.
Côtelettes de chevreuil. Après qu’on les a légèrement aplaties et parées comme des côtelettes de mouton, on les fait mariner pendant 24 heures dans une marinade préparée de la même manière que pour les filets (Voy. Filets de chevreuil). On les égoutte sur une serviette, on les met dans un plat à sauter avec du beurre frais ou de l’huile d’olives, et on les fait cuire à bon feu. On les retourne aussitôt qu’on juge qu’elles sont cuites d’un côté, et, dès qu’elles résistent au toucher, on les retire. Alors on égoutte le beurre ou l’huile du plat à sauter pour détacher le fond avec une sauce poivrade qu’on verse sous les côtelettes. On aura préparé d’avance des morceaux de mie de pain frits à l’huile ou au beurre et taillés à peu près de la forme des côtelettes entre chacune desquelles on place un de ces morceaux.
Si l’on n’a pas de sauce poivrade à sa disposition, on peut y suppléer de la manière suivante : lorsque les côtelettes sont cuites, on les retire du plat à sauter dans lequel on passe un peu d’échalote finement hachée avec une pointe d’ail, en ajoutant ensuite une demi-cuillerée à bouche de farine qu’on délaye avec un peu de vin blanc sec et une cuillerée à bouche de marinade ; on assaisonne de poivre et de sel, on ne laisse pas bouillir cette sauce ; et, dès qu’elle est bien liée, on la verse sous les côtelettes.
Émincé de chevreuil. On y emploie ordinairement les restes d’un quartier de chevreuil rôti. Après avoir levé toutes les chairs dont il faut retirer avec soin les peaux et les nerfs, on les coupe en escalopes minces, larges de deux doigts et auxquelles on donne une forme ovale. On aura préparé d’avance une sauce poivrade bien réduite ; on y met l’émincé pour l’y faire chauffer sans le laisser bouillir. Au moment de le servir, on y ajoute quelques petits morceaux de beurre frais, ce qui lui donne plus de finesse et de moelleux, et, après l’avoir dressé sur un plat bien chauffé, on le garnit de croûtons frits à l’huile, et on le masque légèrement avec un peu de glace.
Si l’on n’a pas une sauce poivrade toute prête, on fait un petit roux (Voy. Roux) qu’on mouille moitié avec du bouillon, moitié avec du vin blanc sec, et dans lequel on met les os et les peaux des morceaux de chevreuil ; on laisse bouillir le tout sur l’angle du fourneau pendant une heure. On ajoute alors un verre de marinade ; on passe cette sauce au tamis, on la dégraisse et on la fait réduire au point convenable pour y mettre l’émincé qu’on finit comme il est indiqué ci-dessus.
Filets de chevreuil. On prend 2 ou 3 filets dont on enlève la chaîne et les peaux ; puis on détaille chaque filet en quatre parties égales de longueur et d’épaisseur, et, après qu’on les a parés et piqués, on les fait mariner dans une terrine, pendant 12 heures au moins, avec 2 verres de vinaigre, 1 verre d’eau, du sel, du poivre, 2 oignons et une échalote émincée, du persil en branches, du thym, 4 grains de genièvre, 7 ou 8 clous de girofle, 4 ou 5 feuilles de laurier. Quand on veut les employer, on les égoutte, on les approprie, et on les met dans une casserole avec 2 cuillerées de bouillon et la même quantité de vin blanc, pour les laisser cuire, feu dessus, feu dessous, pendant une heure. Dès qu’ils sont cuits, on les retire de leur cuisson qu’on fait réduire, et on les y remet seulement jusqu’à ce qu’ils soient tombés à glace. On les dresse alors, on ajoute à la cuisson une cuillerée de sauce poivrade (Voy. cet article), et on la verse sous les filets qui doivent être servis très chauds.
Hachis de chevreuil. On le fait exactement de la même manière que le hachis de mouton (Voy. Mouton) ; seulement on le mouille avec un peu de sauce poivrade au lieu d’espagnole.
Quartier de chevreuil à la broche. Il faut d’abord ôter la peau jusqu’au pied qu’on ne détache pas du gigot, mais qu’on a soin d’envelopper d’un papier huilé, afin que le poil ne se brûle pas pendant la cuisson : puis on le pare en enlevant légèrement l’épiderme de chaque côté. On pique les chairs de lard fin, ou seulement le filet et le dessus de la noix, et, si on ne veut pas qu’il soit mariné, on le dépose sur un plat de terre, en le couvrant d’un peu de sel et de poivre, de quelques rouelles d’oignon et branches de persil, de thym et de laurier, puis en l’arrosant de quelques cuillerées d’huile d’olives et de vinaigre à l’estragon : on le laisse ainsi pendant quelques heures jusqu’au moment où on le fait rôtir après avoir retiré ces ingrédients. Si au contraire on le désire mariné, on le met dans une marinade préparée de la même manière que pour les filets (Voy. Filets de chevreuil), et dans laquelle on doit le laisser au moins 24 heures, plus souvent 2 ou 3 jours, quelquefois même plus longtemps, mais en ayant toujours soin de le retourner plusieurs fois. On l’égoutte une heure avant de le faire rôtir, on le met à la broche enveloppé d’une double feuille de papier beurrée, et on lui donne une heure et demie de cuisson, en l’arrosant souvent et en ayant l’attention de tenir le feu beaucoup moins fort du côté du filet que de celui du gigot. Dix minutes avant de débrocher, on enlève le papier beurré, afin que la pièce puisse prendre une belle couleur ; on la glace, surtout à la partie piquée, et on la dresse avec un jus dessous. On sert à part une sauce poivrade.