Cidre
(Écon. domestique). Dans les pays où la fabrication du cidre est l’objet d’une industrie particulière, on y emploie des pommes propres à cet usage, désignées sous le nom de pommes à cidre, et qu’on distingue en trois espèces, selon l’époque de leur maturité : les précoces, qui mûrissent en septembre ; les moyennes, que l’on cueille en octobre, et les tardives, qui ne sont récoltées qu’en novembre. Les premières donnent une boisson légère et saine, mais qui ne peut guère se conserver au-delà d’une année : avec les deux autres espèces on obtient des cidres que l’on garde de 2 à 4 ans. Du reste, toutes les espèces de pommes, soit douces, soit acides, employées séparément, ou mélangées ensemble, peuvent servir à la fabrication de cidres plus ou moins liquoreux, et dans les années où ces fruits sont très abondants et où en même temps le vin est rare et cher, le meilleur moyen de tirer parti du superflu de ces fruits, c’est de le transformer en cidre.
Il faut attendre pour récolter les pommes qu’elles soient parfaitement mûres. On monte alors sur les arbres dont on secoue les branches pour faire tomber la majeure partie des fruits, et ce qui reste encore est ensuite abattu à coups de gaule, ou mieux cueilli à la main. Les pommes ainsi cueillies sont portées au grenier, à l’air, ou déposées dans tout autre endroit bien sec, et, si l’on veut, pour plus de précautions, sur une couche de paille : on peut les laisser ainsi pendant 3 semaines ou un mois. Il ne faut employer ni les fruits gâtés ni ceux qui sont tombés avant leur maturité. En Normandie et en Picardie on désigne sous le nom de somme un sac de pommes du poids de 100 kilogr. Le prix de la somme de pommes varie de 3 à 8 fr., selon les années et selon la qualité du fruit.
Lorsque le moment de faire le cidre est arrivé, la première opération consiste à broyer les pommes par un procédé quelconque. Si l’on n’a pas de moulin à sa disposition, on place un madrier sur une auge ou un cuvier d’assez grande dimension, puis, en posant successivement les pommes sur le madrier, on les écrase complètement d’un coup de maillet, et elles tombent ainsi broyées dans le cuvier. Ce procédé est moins expéditif et moins parfait que la meule habituellement employée pour cette opération, mais les résultats seront à peu près les mêmes, si les fruits ont été écrasés avec assez de soin pour qu’ils donnent tout leur jus. Quand il y a une certaine quantité de pommes broyées, on les dépose sur le tablier du pressoir par couches séparées les unes des autres par autant de couches de paille longue placée chaque fois en sens contraire. Il faut que cette masse soit bien d’aplomb sur toutes ses faces, et que la dernière assise soit encore couverte de paille. On presse alors à diverses reprises, et le jus qui s’écoule est reçu dans un cuvier établi auprès et au-dessous du tablier du pressoir. À mesure que la masse s’affaisse, on la recharge d’une nouvelle quantité de pommes broyées qui est soumise au même pressurage, et l’on procède ainsi jusqu’à ce qu’on ait employé tous les fruits. Le jus qui s’est écoulé dans le cuvier est une liqueur sans aucune addition d’eau, très douce, très sucrée même ; c’est le vrai cidre, celui qu’on désigne sous le nom de pure goutte ou de mère-goutte. On le verse dans des futailles, à l’aide d’un entonnoir surmonté d’un tamis de crin.
Les futailles pleines, à 0m,10 ou 0m,12 près. sont placées sur chantier dans un endroit tempéré, où la fermentation s’établit naturellement en 3 ou 4 jours ; il ne faut pas les boucher ; on pose simplement les bondes sur l’orifice, pour laisser passage au dégorgement des lies que la première fermentation rejette à la surface de la liqueur. Pour faciliter la sortie de ces matières, on remplit de temps en temps les tonneaux, dont il faut fréquemment visiter les bondes, de manière à prévenir les accidents qui résulteraient des effets de la fermentation. S ’il survient de fortes gelées, il est prudent de tirer des tonneaux une certaine quantité de cidre afin d’y ménager un vide suffisant. — Pour dépurer plus parfaitement le cidre et le rendre plus délicat, on verse quelques litres de cidre doux, sortant de la cuve, dans les tonneaux dont la liqueur commence à se calmer. Il résulte de cette addition une fermentation nouvelle, et, si le cidre est naturellement épais, on peut renouveler 2 ou 3 fois l’addition de cidre doux. Quand la fermentation a cessé, on enfonce les bondes, en réservant seulement à côté de la bonde l’évent d’un trou de vrille, dans lequel on insère un brin de paille, un petit chalumeau : on n’y chasse le fausset de bois que lorsque la seconde et légère fermentation qui a lieu dans le tonneau a cessé. — Le cidre, après sa dépuration, dépose une lie au fond des futailles, et se couvre communément d’un chapeau qui se forme à sa surface. Si on veut l’avoir fort, on le laisse sur la lie, sans le remuer, et il acquiert d’autant plus de force qu’on le laisse plus longtemps en cet état ; mais il devient bientôt acerbe. Généralement on le soutire au bout de 1 ou 2 mois, et on le dépose dans la cave, soit en tonneau, soit en bouteilles : alors il reste doux, agréable et sain. Il ne faut pas se presser de boucher les bouteilles : le mieux est d’attendre 3 jours. Les bouteilles ou les cruchons doivent être placés debout dans la cave.
Lorsque le jus des pommes employé à la préparation de ce premier cidre a été entièrement exprimé, comme il a été indiqué, on enlève tout le marc pour le déposer dans un cuvier et le mouiller d’une certaine quantité d’eau, quantité qui doit être proportionnée à la qualité des fruits, à la force qu’on veut donner à la boisson, et à la durée du temps pendant lequel elle doit être conservée. Après avoir écrasé et mélangé soigneusement le marc avec l’eau, on laisse cette bouillie se détremper pendant 24 heures, en l’agitant de temps à autre avec un bâton ou une pelle de bois. Alors on soumet ce marc au pressurage, et l’on obtient un cidre léger qui est encore une boisson agréable. On le met en futaille pour qu’il y opère sa fermentation comme le premier. Ce second cidre s’appelle mitoyen ; il se consomme habituellement dans la ferme ou dans le pays. Dans les années de mauvaise récolte, et surtout chez les petits métayers, on ajoute une troisième pilée avec addition d’eau, mais dans une moindre proportion. Le produit de cette pilée s’appelle tiersage ; on l’améliore en y ajoutant la lie de l’année précédente et celle de la première fermentation. On y mêle aussi les pommes véreuses tombées avant la maturité. Un autre tiersage, qu’on nomme petit cidre, se fait en ajoutant seulement 25 litres d’eau à chaque pilée de 100 kilogr. Ce petit cidre est une boisson saine et agréable, mais de peu de durée. On le consomme avant les chaleurs de l’été, qui le détériorent sensiblement. — En mouillant le marc avec ce petit cidre au lieu d’eau, on obtient un produit approchant du gros cidre pour la force, mais plus délicat et plus recherché pour l’usage des pays de production. Celui-là peut se garder deux ans.
Quant au marc, on peut en tirer parti de diverses manières : coupé par petits carrés de 0m,30 environ, séché au soleil, ou dans un grenier, à l’air libre, il est propre à être brûlé et donne non seulement un assez bon chauffage, mais encore une cendre excellente soit pour les lessives, soit pour l’amendement des terres humides. Quand on engraisse des porcs pendant l’hiver, le marc des pommes, conservé en terre dans un trou couvert, leur est donné mélangé avec quelques déchets de la cuisine et de la laiterie.
Conservation du cidre. Un mitoyen de conserver longtemps au cidre son goût agréable et vineux, c’est de mettre dans un tonneau défoncé des copeaux de hêtre vert. On remplit ce tonneau de cidre sortant du pressoir, pour qu’il y subisse sa première fermentation, et ensuite on soutire. La sève du hêtre, en se combinant avec le cidre, ajoute beaucoup à son goût et à sa qualité.
Pour rendre doux le cidre dur, et fortifier le cidre faible, on y mêle du sirop de cidre doux bouilli et réduit au sixième, ou bien du miel ou de la cassonade. Ce moyen est surtout convenable pour le cidre qu’on se propose de mettre en bouteilles. Quand, malgré ces précautions, le cidre contracte un goût aigre et désagréable, on le livre à la distillation, ou on le transforme en vinaigre. Quelquefois le cidre s’épaissit et devient gras. On y remédie en le collant et l’agitant ; puis on le soutire une seconde fois, après avoir ajouté un demi-litre d’alcool par 120 litres , ou une douzaine de poires concassées. Enfin le petit cidre peut être fortifié avec une légère addition d’eau-de-vie.
Cidre de ménage. Dans les années où le vin est cher et où en même temps la récolte des pommes a été peu abondante, on peut facilement et à bon marché préparer une boisson essentiellement végétale, saine et agréable. On met dans un baril ou tonneau de capacité suffisante 90 litres d’eau, 4 kilogr. de pommes sèches dites tapées, 2 kilogr. de raisin de Samos, 250 gr. de baies de genièvre : trois jours après on ajoute à ce mélange, 1 litre d’alcool de betteraves. On laisse macérer le tout pendant 7 ou 8 jours, plus ou moins, selon la température, et au bout de ce temps on soutire la liqueur pour la mettre en bouteilles : 4 ou 5 jours après, on peut commencer à en faire usage. Il faut avoir le soin de ne pas coucher les bouteilles. Comme l’achat des ingrédients qui entrent dans la préparation du cidre de ménage coûte environ 9 fr., et qu’on obtient de 80 à 90 bouteilles, cette boisson revient à peu près à 10 centimes la bouteille.