Fromage, Fromagerie
(Écon. rurale). Pour faire des fromages, il convient d’avoir à sa disposition une petite pièce particulièrement destinée à cet usage et qu’on appelle fromagerie. Elle sera garnie dans son pourtour de tablettes avec un égouttoir. Il y faut, de plus, une petite table étroite et longue en pierre ou en madrier de chêne, creusée de 0m,02 à 0m,03, recouverte de zinc, et munie, à l’une de ses extrémités, d’une espèce de bec qui sert à faire égoutter dans un baquet le petit-lait à mesure qu’il s’échappe des fromages. La fromagerie doit être peu aérée et placée de manière qu’elle conserve toujours une température moyenne de 12 à 15° : on l’obtient en hiver par le moyen d’un chauffage quelconque ; elle sera carrelée et le carrelage disposé de façon que l’eau s’écoule facilement lorsqu’on lave le sol, ce qui doit se faire souvent. Dans un des coins se place un baquet toujours plein d’eau, pour laver les ustensiles servant à la fabrication des fromages. La fenêtre doit être garnie de toile métallique. La fromagerie sera munie de formes ou cercles en bois de hêtre ; de plancheaux, petites planches en bois blanc carrées, proportionnées à la grandeur des formes qu’elles doivent recevoir ; de cajots, espèces de claies en jonc ; de clayettes, petites claies rondes faites en osier blanc et très claires ; et d’éclisses, petits cercles en zinc, ouverts, de 0m,04 de hauteur environ, fermant au moyen d’un bouton et de trous pratiqués à l’autre bout, ce qui permet de donner au cercle plus ou moins de grandeur ; il faut encore des terrines pour mettre le lait et enfin de la présure.
Fromages gras, façon Brie. Lorsque le lait est trait, encore chaud et placé dans les terrines, on le met en présure. Pour 10 litres de lait, il faut un petit morceau de présure, du volume d’une noisette : on le délaye dans une petite quantité d’eau chaude et l’on verse cette préparation dans le lait qu’on agite pour bien opérer le mélange. Il est préférable de mettre le lait en présure avec une caillette ou mulette de veau : c’est l’estomac du veau préparé dans ce but. On frotte une petite sébile de buis avec cette caillette et on remue le lait avec la sébile. Cette mulette se remet ensuite dans la saumure dans laquelle on la conserve ; elle peut durer un mois et plus et peut servir à 30 à 40 litres de lait par jour. Si la présure ou la caillette sont bonnes, le lait doit être pris en moins d’une heure. Si la quantité de présure indiquée ne suffisait pas, on l’augmenterait ; si, au contraire, le caillé, après avoir été égoutté, paraissait sec, on diminuerait la quantité de présure.
Lorsque le lait est bien ferme, on le prend avec une sébile, et on le met dans les formes. Il faut deux formes l’une sur l’autre, posées sur un cajot, qui, lui-même, se met sur un plancheau ; le tout est placé sur l’égouttoir. Si le lait est bien ferme, le petit-lait s’échappe avec rapidité, et, 5 ou 6 heures après, on peut enlever une des formes. Le fromage s’égoutte encore toute la nuit, et le lendemain il peut être retourné. Pour cela, on place dessus un cajot et un plancheau ; on saisit le tout et on retourne vivement. On enlève le cajot et le plancheau qui étaient dessous. On laisse égoutter encore quelques heures ; le fromage doit être assez ferme pour qu’on puisse enlever la seconde forme et la remplacer par l’éclisse de zinc. Le soir, on place dessus un cajot et un plancheau, et on le retourne. Le fromage alors doit être en état d’être salé d’un côté. On emploie du sel parfaitement broyé et sec qu’on étend en petite quantité, avec la main, sur toute la surface. Le lendemain, on retourne le fromage ; on enlève l’éclisse et on sale de l’autre côté. Pour saler le pourtour, on humecte ses doigts ; on les pose sur le sel, puis sur le fromage. Le fromage est fait, mais n’est pas encore en état d’être mangé. On continue à le retourner soir et matin, et on remplace le plancheau par la clayette. Bientôt , si la fromagerie est assez humide, le fromage prend le bleu, c.-à-d. se couvre d’une petite moisissure bleue, en séchant doucement ; on continue à retourner une fois par jour, et, lorsque le fromage commence à passer du bleu à la couleur rouille, on le sort de la fromagerie pour le mettre dans un endroit plus sec, toujours sur des cajots et des clayettes. Ordinairement on place les fromages dans une cave bien aérée et sur un lit de paille ou de foin : quand ils arrivent à la perfection, ils se ramollissent un peu et deviennent gras et crémeux. — On doit mettre un certain ordre dans l’arrangement des fromages sur les tablettes. Les plus récents sont sur l’égouttoir, et, à mesure qu’on en prépare de nouveaux, on avance les plus anciens, sans changer l’ordre dans lequel ils ont été placés, de manière que lorsqu’ils sont en état de sortir de la fromagerie, ils ont fait le tour de toutes les tablettes.
Nous ne décrirons pas la fabrication des fromages cuits, tels que ceux de Gruyère, parce que cette fabrication ne se pratique pas dans les ménages. Voy., du reste, le dictionnaire de M. Bouillet, art. Fromages.
La plus minutieuse propreté doit régner dans la fromagerie et s’appliquer à tous les ustensiles qu’on y emploie. Chaque fois qu’on retourne les fromages, qu’on enlève des formes ou des éclisses, des cajots, des clayettes, des plancheaux, ils doivent être lavés avec le plus grand soin dans de l’eau fraîche souvent renouvelée, et de temps en temps dans de l’eau chaude, et frottés avec la brosse de chiendent. Il importe d’empêcher les mouches de pénétrer dans la fromagerie ; on ne doit y donner de l’air que momentanément et veiller cependant à ce qu’il n’y règne aucune mauvaise odeur ; les fromages en ont très peu jusqu’au moment où on les retire de la fromagerie.
Fromages à la crème. Il y en a de plusieurs espèces. Le fromage à la crème ordinaire se prépare avec du lait caillé naturellement, dont on enlève la crème pour la faire égoutter, soit dans une passoire garnie d’un linge clair et mouillé à l’avance, soit dans un tamis de crin ou dans un panier d’osier clair, également garnis d’un linge mouillé. Lorsque le caillé est assez ferme pour former une masse, on le passe, au moyen d’un pilon aplati, au travers d’un tamis de crin ou d’une passoire fine, et on y ajoute de la crème enlevée sur du lait trait seulement depuis quelques heures. Pour que le fromage soit très bon, il faut y mettre la crème d’une quantité de lait plus considérable que celle du caillé. On peut servir le fromage dans cet état, ou le remettre à égoutter deux ou trois heures dans une petite forme d’osier, garnie de linge mouillé ; cette forme peut être ronde, carrée ou en cœur : le fromage prendra la forme de cette espèce de moule. Pour le servir, on le renverse dans un compotier, en y ajoutant de la crème, qu’on peut fouetter un peu avec une fourchette pour la faire mousser. On peut faire prendre le lait, lorsqu’il ne caille pas facilement, avec de la présure ; alors, la crème ou une grande partie de la crème restant dans le caillé, il n’est pas nécessaire d’en ajouter autant ; mais le fromage n’a pas ce petit goût frais et aigrelet du caillé naturel. On peut remplacer le caillé de vache par un fromage de chèvre non salé, qui, mêlé à la crème et traité de même, donne un fromage très délicat.
Fromage à la crème fouettée. Lorsque la crème est fouettée (Voy. Crème), on peut colorer tout ou partie avec du carmin, ce qui donne un fromage rose, et le mettre, comme le fromage à la crème ordinaire, dans une forme garnie d’un linge mouillé ; on le renverse dans un compotier et on l’entoure de crème fraîche et non fouettée, sur laquelle il surnage.
Conservation des fromages. — Tous les fromages frais, mous et blancs, dits à la crème, à la pie, etc., ne peuvent se conserver au-delà de 2 ou 3 jours, même en hiver. — Les fromages français, gras ou demi-gras, tels que ceux de Brie, de Bailleul, du Mont-Dore, de Marolles, de Livarot, de Pont-Lévêque, de Troyes, etc., restent bons pendant 3, 4 ou 6 semaines au plus, lorsqu’ils sont transportés au-delà des pays de production. Les bons fromages de Roquefort, placés dans un lieu frais, se conservent, dans nos climats tempérés, pendant plusieurs mois. — Les fromages maigres, durs et demi-durs, comme ceux de Gruyère (Suisse), de Hollande, d’Angleterre, de Parmesan, etc., demeurent très sains, pendant une ou deux années, hors des pays de production ; en France, nous ne possédons que les fromages dits façons de Gruyère et de Hollande, et ceux d’Auvergne ou du Cantal, qui se gardent sains et mangeables pendant une année au plus.
Pour conserver les fromages en général, il faut les garantir des attaques des insectes et du contact de l’air. Les fromages gras et demi-gras doivent être renfermés dans un endroit frais et peu éclairé, où ne puissent pénétrer les mouches et les autres insectes. Les fromages maigres, durs et demi-durs, au contraire, doivent être conservés dans un magasin spécial, bien aéré, où règne une température modérée, en ayant soin de ne pas placer près d’eux des fromages encore mous, gras ou demi-gras, qui les corrompraient infailliblement. — Si l’on s’aperçoit que les fromages gras ou demi-gras commencent à se gâter, on pratique au milieu un trou dans lequel on introduit de la craie pulvérisée et bien sèche, qui absorbe l’humidité, cause de la fermentation putride ; on arrête ainsi leur décomposition. Pourtant, il faudra se hâter de les livrer immédiatement à la consommation. — Pour garantir les fromages du contact des mouches et éviter les ravages des vers, les os de boucherie calcinés au feu et réduits en poudre sont d’un effet certain. Les fromages sont saupoudrés de cette poudre calcaire inoffensive ; il vaut encore mieux y plonger entièrement les fromages placés dans une caisse de bois, sans couvercle ; les mouches ne pourront les atteindre et y déposer leurs œufs qui engendrent les vers. Le poussier de charbon de bois est aussi un excellent préservatif pour la conservation des fromages. Mais, comme l’action desséchante du charbon est très énergique, on fera tremper les fromages ainsi conservés, avant de les manger, dans du vin blanc ou dans du vinaigre blanc, très affaibli, ce qui en ramollit la pâte et lui communique une meilleure saveur. Les vieux fromages, dont la croûte est dure, bien qu’ils n’aient pas été conservés dans la poudre charbonneuse, peuvent aussi être trempés dans le vin blanc, qui les améliore sensiblement. Lorsque les mites apparaissent sur les fromages, on applique sur la partie qu’elles ont envahie de l’huile ou de la cendre de bois de chêne ; elles meurent immédiatement. Cette précaution est excellente, dans tous les cas, pour écarter les mouches.
Fromage Bavarois (Cuisine). On fait bouillir la quantité de lait nécessaire pour le moule qu’on veut remplir, 1 litre , p. ex. On le sucre convenablement, on y fait infuser une gousse de vanille ou un zeste de citron, et on y délaye 8 jaunes d’œufs. On met le tout dans une casserole sur le feu, en remuant continuellement avec une cuiller de bois, jusqu’à ce qu’on obtienne une crème suffisamment épaisse. Alors, on la retire du feu, et, après qu’on y a ajouté 30 gr. de colle de poisson fondue dans un peu d’eau, on passe cette préparation à l’étamine ou au tamis fin, on y mêle une petite quantité de crème fouettée, et on la verse aussitôt dans le moule placé au milieu de glace pilée. Faute de glace, on entoure le moule de gros sel et on le place dans un endroit frais, exposé à un vif courant d’air. Après une heure et demie environ, lorsque le fromage est bien pris, on le renverse sur un plat en enlevant le moule qu’on a d’abord rapidement trempé dans l’eau chaude ; ou bien, ce qui vaut mieux, il faut avoir la précaution de frotter légèrement le moule avec de l’huile d’amandes douces avant d’y verser la crème, et alors le fromage se détache aisément.
C’est en suivant le même procédé qu’on peut faire des fromages bavarois à toutes sortes d’essences et de fruits, au café, au chocolat, à la fleur d’oranger, aux fraises, aux groseilles, aux framboises, à l’ananas. Seulement, pour les fromages aux fruits, il est bon de savoir qu’il faut incorporer dans un verre de crème de lait 40 gr. de colle de poisson clarifiée, et que, le sirop des fruits étant déjà sucré, on n’ajoute de sucre qu’autant que cela est nécessaire. On tient cette préparation dans une petite bassine ou dans un saladier, et, lorsqu’elle commence à se prendre, on y mêle la crème fouettée, pour verser promptement le tout dans le moule et le frapper de glace.
Fromages de Charcuterie. Ils sont plus particulièrement connus sous les noms de fromage de cochon et de fromage d’Italie.
Fromage de cochon. Après qu’on a nettoyé et désossé une tête de cochon, on en lève les chairs qu’on coupe en filets minces, ainsi que la langue et les oreilles ; on met à part les couennes. On assaisonne ces chairs de poivre, de sel, d’épices, de thym et de laurier hachés finement, on les enveloppe d’un linge et on les fait cuire dans une marmite sur un feu modéré pendant 7 ou 8 heures. Une fois qu’elles sont cuites, on les retire et on les égoutte. On garnit alors un moule ou une casserole avec les couennes, on place les viandes au milieu, et on couvre le tout d’un couvercle qui ferme exactement le moule ou la casserole et sur lequel on met un poids assez lourd, afin de presser les viandes pendant qu’elles sont encore chaudes et de remplir ainsi tous les vides. Quand elles sont froides, il suffit pour détacher et renverser sur un plat le fromage qu’elles forment, d’exposer un moment à l’action de l’eau bouillante le contour du moule ou de la casserole. On pane ensuite ce fromage avec de la chapelure et on le masque de persil haché.
Fromage d’Italie. Il faut hacher ensemble et aussi bien que possible un kilogr. et demi de foie de cochon, un kilogr. de lard, 250 gr. de panne, et mélanger cette farce en l’assaisonnant de poivre, de sel, d’épices, de thym, de laurier, d’échalotes, d’une pincée de sauge, ces quatre derniers ingrédients étant hachés finement. On garnit une timbale ou casserole soit d’une coiffe ou crépine de porc, soit de bardes de lard très minces. On y met d’abord une couche de farce épaisse de la largeur de trois doigts, puis des lardons, assaisonnés, par-dessus une nouvelle couche de farce, puis encore des lardons, et ainsi de suite jusqu’à ce que le moule soit rempli. On couvre le tout de bardes de lard et on fait cuire au four pendant trois heures. On laisse refroidir le fromage qu’on retire facilement en trempant le moule dans l’eau bouillante, et on le décore de saindoux et de gelée.